Christelle Garnier, paysanne bio envers et contre tout

En 2004, celle qui aurait pu rester une communicante reprenait la ferme familiale de la Ferté-Loupière, en Bourgogne, pour la convertir au bio. Aujourd’hui, Christelle Garnier accueille sa fille qui va y planter de la vigne. Malgré une conjoncture plus que délicate, elles s’investissent pour une agriculture qui prend soin du vivant et ne changeraient de trajectoire pour rien au monde.

Au début des années 2000, Christelle Garnier, aînée d’une fratrie de sœurs, sent monter le besoin de reprendre la ferme de ses parents, dans la famille depuis cinq générations. Un besoin qui relève davantage du devoir filial que d’une absolue nécessité professionnelle. « J’avais passé douze ans dans une première entreprise à faire de la communication, du marketing, et j’étais bien, raconte-t-elle. En changeant de structure, et alors que je n’étais là que depuis six mois, il m’est apparu évident que je n’étais pas à ma place. Je suis partie le 15 décembre 2003 et au 1er janvier 2004, j’ai repris l’exploitation de mes parents à temps plein, avec l’idée d’apprendre, de tout comprendre, de m’imprégner, de sorte que je serais sûre de mon fait lorsque je devrais embaucher. »

Le bio comme une évidence

Christelle Garnier souhaite convertir la ferme au bio. Une envie décuplée après une réunion avec des commerciaux du secteur phytosanitaire qui expliquent aux agriculteurs présents que 100 % des blés sont résistants à un 143 fongicide, mais qu’ils ont déjà trouvé la nouvelle molécule miracle. En rentrant chez elle, Christelle Garnier ouvre son Index acta (le Vidal des produits phyto sanitaires) et découvre le pot aux roses. « Ils vendaient des packs avec à la fois l’ancienne et la nouvelle molécule, pour être pieds et poings liés à leur modèle. Je ne veux pas qu’on incrimine les paysans, car ils sont souvent victimes, mais quand j’ai vu cela, je me suis promis de cultiver autrement. » Passé ce choc, elle se plonge dans les lectures ; le bio lui apparaît alors encore plus comme une évidence face aux problématiques de santé, de la préservation du vivant, de la qualité de l’eau. « Mais je ne voulais pas pointer mon père du doigt, je voulais l’embarquer, lui montrer une autre manière de faire. » Son père est d’accord, mais avec les voisins agriculteurs, c’est plus compliqué. Être femme et travailler en bio : une double provocation ! « Je les voyais au loin, avec leurs jumelles, vérifier que c’était bien moi sur le tracteur. Et ils venaient, intrigués, regarder ce que je faisais pousser, car sur ces terres dominées par le blé et le colza, ils n’avaient jamais vu des lentilles et du soja ! » Une fois l’étonnement passé, elle finit par se faire adopter. 

Une lutte constante

Vingt ans plus tard, Christelle Garnier est quelque peu désabusée. Deux décennies passées à militer, à lutter pour le vivant, à sensibiliser et à prendre des responsabilités pour un bilan qui ne la satisfait pas. La paysanne, vice-présidente de la coopérative Cocebi, administratrice de Biocoop et vice-présidente de Bio équitable en France, a pourtant réussi à pérenniser en bio une ferme de 100 hectares avec des poulets et des panneaux photovoltaïques, ainsi qu’un domaine de 120 hectares en grandes cultures sur une partie duquel sa fille va planter de la vigne. Mais elle vitupère contre un système global qui ne défend pas assez celles et ceux qui protègent le vivant et les laisse à la merci des aléas. « Il ne fait que pleuvoir depuis 2023 ! déplore-t-elle. Au point qu’à l’automne, je n’ai semé que 35 hectares sur les 100 prévus. Avec notre coopérative nous tournons au ralenti et c’est rude. En face, je vois des opportunistes qui se sont convertis au bio après la crise céréalière de 2019 pour toucher des aides et qui se déconvertissent sitôt que le marché se retourne. Forcément, puisque la réponse globale aux crises paysannes, c’est de rouvrir les vannes des pesticides de synthèse ! Je m’y refuse, mes filles ne m’accuseront jamais d’avoir renoncé, mais j’avoue que c’est usant d’être le poil à gratter, d’être dans la confrontation pour défendre ce qui devrait nous unir tous. » Actuellement, Christelle Garnier ne se verse pas de salaire. Sa fille non plus, contrairement à ses camarades de promo en urbanisme qui sont bien installés, mais elle se sent pleinement libre. Le seul salarié de l’exploitation est un jeune ingénieur agronome qui n’est pas fils d’agriculteurs et qui a fait deux stages auprès d’elle et qu’elle espère installer avec sa fille. Pour autant, elle ne baisse pas les bras, car les solutions sont là, à portée de main. « Quand je vois la Mairie de Strasbourg qui donne des paniers bio aux femmes enceintes, la Sécurité sociale de l’alimentation mise en place dans certains territoires, je vois bien que des collectifs savent où il faut aller. Mais je m’impatiente parfois, surtout quand j’entends l’argument : “Le bio, c’est cher”. Moi, je le retourne : si 100 % des gens avec des hauts revenus mangeaient bio, nous n’en serions pas là. » On le voit, le désengagement n’est pas pour demain et c’est tant mieux !