Philippe Lassalle Saint-Jean, la vie plus bio que bio

Directeur général de Maison Meneau, leader des sirops bio, Philippe Lassalle Saint-Jean aime les contraintes et les règlements… pour mieux les dépasser ! Depuis deux ans, il est également engagé au sein de l’Agence Bio pour faire discuter tous les acteurs de l’alimentation et les amener à augmenter leur consommation bio.

La Maison Meneau est une institution depuis près de 150 ans (elle a été fondée en 1879) et passée au bio au mitan des années 1990, mais l’esprit de sobriété et de responsabilité prévalait depuis bien avant « papa était un économe écolo qui faisait de l’écologie par bon sens et parce que la guerre lui avait appris à faire attention à tout ». A la mort subite de ce dernier dans un accident de voiture en 1984, Philippe Lassalle Saint Jean se retrouve à 21 ans seulement à la tête de l’entreprise en binôme avec son frère Vincent. Respectant l’équilibre familial de qualité des matières premières, bénéficiant d’une image de marque de grande vertu, ils prolongent l’histoire de la marque sans y toucher, mais sans prendre réellement de plaisir, pendant dix ans.  

La révélation lui viendra en discutant avec une de ses sœurs qui se fournit en produits bio dans une AMAP. « Elle m’a dit d’aller voir notre voisin girondin, le directeur du distributeur bio Pronadis. Il m’explique que personne ne fait de sirop bio alors je me suis lancé avec exaltation ! ». En échangeant avec Ecocert sur le cahier des charges, Philippe reprend l’intégralité de sa production pour y détecter ce qui pose problème. Alors, il y a encore du sucre blanchi à la chaux et des intrants de synthèse sur certaines parcelles.

Là où les obligations règlementaires sont vues comme des contraintes par d’autres, Philippe y voit instantanément un gage d’amélioration continue : « la transparence totale qui gêne des gens, moi elle me va bien. Ça prouve que je n’utilise pas de pesticides de synthèse. C’est comme pour la conduite : je peux raconter que je sais conduire, mais vient un moment où il faut passer le permis ! En plus ça me pousse à trouver des matières premières irréprochables et à justifier leur prix ». Quand il  déniche du sucre bio chez un petit producteur du Paraguay, plus onéreux que le précédent, il rajoute à la filière la mention « équitable » pour signifier que c’est le prix idoine, celui qui fait vivre les travailleurs. Un prix jugé trop cher par les clients historiques… mais pas pour Biocoop qui référence Maison Meneau permettant de faire tâche d’huile et de croître aussi vite que le marché du bio.

La carte s’est étoffée en plus de vingt ans avec d’autres boissons (sirops, limonades, infusions…) 100% bio, équitables, et vendues en contenus réutilisables. Partir de l’exigence du label AB pour mieux aller au-delà, voilà le mantra de Philippe comme il l’explique à propos de la dernière-née de l’entreprise : « on a lancé une infusion pétillante pomme et lavande, produites à moins de 150 km et transformées avec l’énergie d’une centrale photovoltaïque. C’est évidemment un engagement pour la décarbonation dans le but de préservation de notre planète. Non seulement on favorise le recours aux renouvelables, mais aussi un raisonnement économique à  long terme : dans dix ans, quand on aura remboursé le prêt, cette énergie nous reviendra beaucoup moins chère que les fossiles. Cette équation permet de maintenir la bio à un prix abordable et de renforcer la pérennité de la Maison Meneau ».

Un engagement au temps très long et à la croissance très raisonnée qu’il applique à la diversification de son activité dans la restauration. Après s’être investi à la CCI et autres instances économiques du territoire pour verdir le bordelais, il s’associe avec Philippe Barre et créent l’espace Darwin, dans lequel ils installent plusieurs restaurants bio. Le premier d’entre eux, Le Magasin Général propose du 100% bio à manger jusqu’à l’iconique Darwin beer mise en bouteille chez Meneau. Au-delà de la carte, on retrouve une démarche responsable globale avec tous les déchets alimentaires récupérés par les Détritivores pour devenir du compost. Du zèle ? « Nous allons au-delà du contrat par cohérence. Quand on décortique la production pour tout vérifier, on cherche à être réellement responsable partout ». Une irréprochabilité qui n’a pas échappé à l’Élysée qui fait partie des clients de la Maison aux 40 salariés pour 6 millions de bouteilles vendues chaque année.

Quand on l’interroge sur le très médiocre 1% de produits bio vendus en restauration commerciale, Philippe ne se compare pas en disant que tout le monde peut faire mieux mais se retourne vers le législateur : « la majorité des restaurateurs n’ont pas de vue à long terme et s’arrêtent à la notion de prix. Nous, à Darwin, on va voir les producteurs en direct, ça fait une politique de référencement plus lourde. En outre, il faut accepter les aléas avec des annulations possibles sur les commandes. Nous sommes militants et je sais que tout le monde ne peut pas l’être. Aussi, pour diffuser massivement le bio je crois qu’il n’y a que l’incitation qui fonctionne. Si je reprends l’image du permis de conduire, de moi-même je n’aurais pas limité la vitesse ou ne me serai pas mis à rouler à jeun. Mais j’ai compris que nous partagions la route avec d’autres et que mes pratiques n’étaient pas possible ». Preuve de la véracité de ces propos, la part du bio dans la restauration collective progresse très vite avec l’injonction du législateur, quand la restauration commerciale, non soumise à des quotas de bio, stagne voire régresse… De quoi être sombre pour l’avenir ? « Clairement pas ! Nous arrivons sur la fin de l’érosion : les volumes repartent et nous avons récupéré les clients historiques et allons repartir de l’avant. C’est pour cela que je me suis engagé depuis deux à  l’Agence Bio. Je suis là pour promouvoir la discussion entre tous les acteurs de l’alimentaire et pour pouvoir se faire entendre au milieu de la crise. Pour autant,  dans ce genre d’exercice, on n’est jamais rien sans les autres à nos côtés, clients, banques engagées, famille, la filière bio, Seules l’éducation et la communication nous sortiront de là à condition de les embrasser de façon collective ».