Ludovic du Plessis : luxe, calme et champagne bio

Après une première vie professionnelle dans le secteur du « luxe » non bio, Ludovic du Plessis a bifurqué vers une approche radicale en reprenant Champagne Telmont, maison centenaire, bien déterminé à mener une conversion totale au bio. Et c’est avec la même détermination qu’il invite tous les amoureux de la vigne à en faire autant. Son mot d’ordre : tout faire, au Nom de la Terre.

Quand on pense aux militants du bio, on les imagine rarement dégustant des cigares en compagnie de fines bulles de champagne. Et pourtant, c’est bien dans ce cadre ouaté que Ludovic du Plessis a pris, il y a vingt ans, le virage qui le mènera sur la voie du bio. « Je travaillais dans le tabac et avais eu l’idée d’un accord cigare-champagne. Je voulais le meilleur pour cette dégustation. On m’a présenté Richard Geoffroy, le pape du champagne, alors à la tête de la cave de Dom Perignon. J’ai immédiatement démissionné pour travailler avec lui car, par chance, un poste était libre dans la maison et ce fut le début d’une histoire d’amour de dix ans avec LVMH ». A la suite de cette première aventure, il va diriger Louis XIII, un cognac de chez Rémy Cointreau où il s’imprègne du temps long, et aurait pu rester des années supplémentaires. Mais un célèbre ami va l’inciter à un changement de vie : « Je connais Leonardo DiCaprio depuis 20 ans. Alors, je n’étais pas spécialement concerné par l’écologie, mais il m’envoyait des documentaires comme « can we cool the planet? », et son activisme imprégné de sciences, ses discours d’ambassadeur à l’ONU ont planté en moi la graine au point que j’ai décidé d’en faire un projet de vie ».     

Pendant trois ans, Ludovic va arpenter les terres champenoises à vélo pour trouver la maison de ses rêves, plus rare encore que le mouton à cinq pattes eu égard à la quadruple exigence qu’il avait : une maison avec une histoire, toujours détenue par la famille, produisant des vins hors du commun et qui ait déjà entamé une conversion en bio… Toutes choses réunies par Champagne Telmont, fondé en 1912 au moment des révoltes champenoises, toujours dirigée par la 4ème génération, dont Bertrand Lhôpital qu’il surnomme le « grape father », avec un vin qui le ravit et qui a obtenu sa première certification bio en 2017. L’opportunité est immanquable : « Il y avait tout ce que j’aime dans ce projet, j’ai proposé au groupe Rémy Cointreau d’investir dans cette maison centenaire pour en faire le meilleur de la Champagne sans aucun compromis environnemental. Nous sommes aujourd’hui 4 associés : Rémy Cointreau (majoritaire), Bertrand Lhôpital, moi-même et Leonardo DiCaprio qui nous a rejoints avec la ferme ambition de nous pousser encore plus sur la question écologique ». 

Alors que les champagnes français sont à 5% seulement en bio, Telmont est à 70%. Ce qui ne suscite aucun triomphalisme chez Ludovic : « Nous voudrions être à 100% et nous allons l’être dans les prochaines années, mais ce qu’il faut bien comprendre c’est que les raisins en champagne viennent toujours de parcelles différentes. Comme pour les tableaux, on a besoin de cette palette, de cette diversité. Il y a d’ailleurs une transparence totale sur la provenance des raisins : un QR code sur chaque bouteille vous indique d’où elles viennent. Sur les 25 hectares que nous possédons, nous sommes à 90% bio, et pour les 75 hectares que nous achetons nous sommes à 60%, et il nous faut encore convaincre nos partenaires un par un pour atteindre 100%, et ça prend du temps. Quand vous passez en bio, vous perdez 20 à 30% de volume, mais nous offrons une prime à la conversion pour que les vignerons s’y retrouvent. Au final, de toutes façons, le champagne doit trouver sa voie dans la valeur, pas le volume ». La « Réserve de la Terre » Telmont, première grande cuvée bio de la Maison, s’écoule ainsi à 64 800 bouteilles, pas plus.

Beaucoup de grandes maisons de luxe empruntent des voies durables, soutenables, ou plus vertes. Telmont a choisi sa voie : le bio et la biodiversité, les deux étant pour la Maison intimement liés : « Chez Telmont, on dit que la regenerative agriculture c’est très bien, mais que ça ne constitue que la première étape. Il faut aller plus loin : passer au bio. Il faut plus de bio pour plus de biodiversité, sinon nous ne sommes qu’à la moitié du chemin. Il y a encore trop d’incompréhension : le bio, cela ne veut pas dire vin nature ou zéro dosage en sucre ; non, le bio cela veut dire que notre champagne Reserve de la Terre est élaborée à partir de raisins cultivés sans herbicides, pesticides, fongicides ou engrais de synthèse. C’est très bénéfique pour le sol, et très bénéfique pour le vin. Cela donne une cuvée radieuse, lumineuse et pleine de vie, c’est un goût vivant, qui vient de la grande vitalité des sols. Et je crois que ça, c’est le futur du champagne. La question n’est pas de savoir si les autres vont y venir, mais quand ; car un jour tous les champagnes seront bio ».

 Au-delà du label, avec l’approche SBT (Science-Based Target) la Maison se donne un objectif très ambitieux de 90% de réduction de son empreinte carbone à l’horizon 2050, ce qui implique de commencer par ce qui en représente 40% à elle seule, la bouteille. « Pour des raisons marketing, nombre de bouteilles sont passées à 900 grammes (formats spéciaux). Nous, nous avons opté pour l’historique modèle champenoise à 835 grammes, dont on nous disait qu’on ne pouvait pas descendre davantage le poids. C’est vrai qu’il y a deux fois la pression d’un pneu dans une bouteille de champagne, et une trop grande légèreté faisait craindre de la casse. Nous avons relevé le défi et travaillé avec Verallia pour tenter une bouteille à 800 grammes, tout aussi résistante que celle à 835. Et les résultats de cette recherche sont positifs, c’est une bonne nouvelle. Il n’y a pas d’exclusivité, toutes les maisons de champagne peuvent suivre. Ensuite, nous avons découvert que les bouteilles transparentes pour le rosé et blancs de blancs étaient faites avec 0% de verre recyclé. Impensable pour nous ! Donc nous élaborons à partir de 2021 les Rosés et Blancs de Blancs dans des bouteilles vertes issues de 87% de verre recyclé.  Un dernier exemple sur le sujet, pour passer d’une teinte à l’autre, il est d’usage de remettre les bouteilles au four avec une grande consommation d’énergie. Chez Telmont, nous prenons toutes les bouteilles même avec de légères variations de teinte… Et ainsi de suite, plus d’éditions limitées, plus de boîtes cadeaux. On fait du Champagne, pas des boites cadeaux. Supprimer le packaging superflu permet de réduire de 8% l’empreinte carbone de chaque bouteille produite. » Pour les plus férus de chiffre, toute la démarche environnementale est disponible ici[1].

Ces décisions de « bon sens paysan » sont extrêmement attractives pour les talents : désormais 16 dans l’équipe, ils ont reçu 250 CV pour le dernier poste de chef de produit qu’ils proposaient… La rançon de l’optimisme : « Je suis très confiant sur ce que la science peut nous apporter pour résoudre la crise écologique, et le bio est le meilleur chemin à suivre. Je ne juge pas ceux qui n’y sont pas encore passés, l’important est de continuer à porter la bonne parole et convaincre par nos actions ».  

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