Fanny Giansetto, vigie du droit au bien manger

Maîtresse de conférences en droit à l’Université Paris 13 où elle travaille sur les questions de justice climatique et de droit de l’alimentation, Fanny Giansetto est également co-fondatrice d’Écotable, le label de la restauration durable. Une double vie au service d’une même cause, l’écologie.

Souvent, les fondateurs de start-up créent ce qui n’existait pas pour combler un manque personnel : ne trouvant pas de solution de co-voiturage pour aller voir sa famille à Noël, Frédéric Mazella a inventé Bla Bla Car. Fanny Giansetto ne cherchait pas si loin, ne voulant pas quitter Paris où elle est née, juste trouver des restaurants en adéquation avec ses très fortes convictions écologiques. Et rien n’existait… « J’ai grandi dans un univers très politisé, mes parents étaient soixante-huitard, mais l’alimentation ne faisait pas partie des points de militance. À titre personnel, j’ai été très marquée par le scandale de la vache folle survenu quand j’avais dix ans, j’ai compris qu’on pouvait mourir en mangeant et je me suis beaucoup renseignée sur tout ce que je mangeais. Le label agriculture biologique (AB) a clairement été un phare dans mon alimentation et j’ai déploré que l’équivalent n’existe pas en restauration ». L’idée germe en 2017 et avec son associée Camille Delamar, elles montent Écotable en 2019.

Le succès est immédiat, grâce à un contexte porteur selon elle : « On avait les marches climat, les gilets jaunes avaient alerté sur le besoin d’une écologie incitative, donc les journalistes voulaient parler d’initiatives populaires et positives. Et puis nous comblions un vrai manque : les guides gastronomiques ne mettaient pas en avant l’engagement des restaurants, qui eux même faisaient preuve de peu de transparence sur leurs produits »Le succès d’audience est immédiat et instantanément les restaurateurs jouent le jeu et co-construisent la solution : d’accord pour aller vers la responsabilité, mais à condition d’être accompagnés pour trouver des fournisseurs. Camille et Fanny montent alors une plateforme web avec un annuaire des prestataires engagés pour acheter directement des produits et se former aux enjeux environnementaux.

“L’arrivée du Covid élargit encore la palette d’Ecotable avec de la formation puisque les restaurateurs avaient enfin du temps. La première est co-créée avec Service compris et sera ensuite transformée en Mooc, pour pouvoir se former n’importe quand. Mais Ecotable va plus loin et investit également les lycées et écoles hôtelières afin de former les futurs restaurateurs. Preuve de l’intérêt, les écoles Ducasse et Ferrandi adoptent ces formations”. Dernière brique pour élargir l’audience, un podcast, « Sur le grill d’Écotable » dans lequel Fanny interviewe des invité.es sur des sujets aussi variés que le transport, la saisonnalité, l’alimentation végane et autres dans la presque centaine ( !) d’épisodes que comptent l’émission.

Une boulimie d’activités au service d’Écotable qui en font absolument oublier que ça n’est pas la profession première de Fanny, mais bien maîtresse de conférences en droit à l’Université Paris 13. Une double vie que l’intéressée explique par un rapport au temps différent dans les deux activités : « j’ai travaillé longtemps avec Notre Affaire à Tous dans le cadre de « l’Affaire du siècle », car les enjeux de justice climatique me passionnent, mais c’est un temps long. Comme pour le droit de l’alimentation, on manipule une matière théorique que l’on ne voit pas évoluer au quotidien. Or, être dans l’action tout le temps est mon moyen de sortir de l’angoisse environnementale ».

Et la noria d’Écotable semble ne jamais s’arrêter pour les quinze personnes qui y travaillent : en avril 2023, elles ont lancé le Resto-Score pour dépasser le public des seuls motivés qui se sont fait labelliser, soit 230 restaurants pour un total de 500 clients. L’idée du Resto-Score est donc de devancer la loi climat et résilience de 2021 sur l’affichage environnementale prochainement imposé à tous les services. Sur quels critères se fondent-ils pour noter les restaurateurs de A à E ? « L’impact carbone n’est pas l’alpha et l’oméga de notre calcul. Nous sommes dans une démarche holistique qui prend en compte de nombreuses dimensions :  approvisionnement, santé, ressources naturelles, déchets, éthique et social, communication, carte ». L’approvisionnement soutenu par Écotable est dit « durable » pour intégrer l’agriculture paysanne non certifiée, mais pouvant gager de leur responsabilité environnementale. Ceci exige un travail d’audit supplémentaire que l’on a pas à faire avec le bio, d’où le soutien inconditionnel de Fanny au label AB qu’elle aimerait voir davantage partagé par les restaurateurs : «  Encore une fois, c’est un phare, on sait comment les aliments ont été produits et c’est essentiel pour les consommateurs comme pour les restaurateurs pour parler à leurs clients. C’est pour cela que le 1% de bio qu’on retrouve dans les restos me fascine, je ne le comprends pas. Je ne comprends pas comment on a réussi à instiller le doute dans l’esprit des gens sur le bio alors qu’on n’a pas le choix. Certes, il y a eu des erreurs, comme les ventes trop nombreuses de produits non français et hors saison, mais c’est résolu, on n’oppose plus bio et local, les filières sont organisées, Rungis l’est ! ». L’enthousiasme de Fanny est contagieux, mais elle refuse de croire en un salut passant justement par des initiatives individuelles : «  c’est beaucoup trop culpabilisant, notamment pour celles et ceux qui n’ont pas les moyens de manger bio et ne savent pas où aller. Certes, les Marmites Volantes sont très populaires et prouvent qu’on peut faire une cuisine majoritairement bio à un prix très abordable, mais ça irait quand même beaucoup plus vite si on réformait la PAC et qu’on instaurait une loi EGALIM de la restauration ! ». Comme quoi derrière l’entrepeneure, la juriste n’est jamais loin.

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